12.12.09

Ligne de Joie


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00’35’’ Au contraire, même démonstration pour la ligne de joie. La ligne de joie, c’est quoi ? C’est tout ce qui s’enchaîne à partir de ma rencontre avec un corps qui convient avec le mien. Supposez que le corps qui convient avec le mien... donc ce corps qui convient avec le mien, je l’aime... De même que la haine découlait de la tristesse, l’amour découle de la joie. Alors vous avez un ligne de joie, là : joie, amour pour la chose qui vous donne de la joie, et caetera... Cette fois-ci, en quoi ça c’est des joies d’une autre nature que les joies qui intervenaient sur les lignes de tristesse ? C’est que ce sont d’autant plus des joies que elles seront directes et complètes, par opposition aux joies de compensation, indirectes et partielles, qui intervenaient sur la ligne de haine. Elles seront directes et complètes, c’est à dire que vous éprouverez de la joie pour la chose elle-même. Votre puissance augmentera. Vous vous rappelez, là je ne reviens pas là-dessus, pourquoi, qu’est ce que veut dire chez Spinoza augmentation ou diminution de puissance... Enfin, je le redis très vite, si vous ne l’aviez pas à l’esprit : c’est à la lettre augmentation et diminution de puissance, la joie et la tristesse, puisque dans un cas, celui de la joie, la puissance de la chose extérieure qui convient avec vous propulse votre puissance, c’est à dire fait qu’elle augmente, relativement, tandis que dans l’autre cas, celui de la tristesse, la rencontre avec la chose qui ne convient pas avec vous va investir votre puissance, qui est tout entière immobilisée pour repousser la chose, et cette puissance fixée, immobilisée, est comme soustraite de vous, d’où : votre puissance diminue. Donc là, vous avez bien les deux vecteurs : augmentation, diminution.

2’49’’ Donc vous voyez que ce à quoi Spinoza nous convie, en tant que disciple d’Epicure, c’est vraiment une sélection de... la sélection des deux lignes. Et, qu’il y ait des tristesses inévitables, encore une fois... par exemple la chose aimée meurt, l’objet aimé meurt, ah bon, c’est triste... Et ça veut pas dire, Spinoza dit pas : « faut pas s’en faire... ». Non, mais il faut le prendre comme une tristesse inévitable. Les seules tristesses permises ou conservées sur les lignes de joie, c’est les tristesses que vous vivez comme inévitables. Bon...



Alors, voilà : c’est ça que j’appelais le premier effort de la raison avant même qu’il y ait de la raison. C’est se mettre sur ce vecteur augmentation de puissance. Comment se mettre sur ce vecteur ? On a ré ?une réponse : en sélectionnant les joies, en sélectionnant les lignes de joies. Et c’est un art très compliqué. Comment faire cette sélection ? Spinoza nous a donné une réponse, et je disais que cette réponse préfigure un thème qu’on retrouvera ensuite chez Rousseau, à savoir : le premier effort de la raison comme art sélectif, et qui consiste en une règle pratique très simple : sachez de quoi vous êtes capables, c’est à dire évitez de vous mettre dans les situations qui seront empoisonnantes pour vous. Et je crois que lorsqu’il dit « qu’est-ce que peut un corps ? », lorsqu’il lance cette question, ça veut dire entre autres ça... Ça ne veut pas dire que ça, ça veut dire entre autre ça. Ça veut dire : « Mais regardez votre vie, vous n’arrêtez pas... Vous n’arrêtez pas de vous mettre dans les situations que précisément et personnellement, vous, vous ne pourrez pas supporter ». Et en effet, en ce sens, vous les fabriquez, vos tristesses... Bon, pas toujours, mais vous en rajoutez, par rapport aux tristesses inévitables du monde, vous en rajoutez toujours... C’est ça, l’idée de Spinoza : la tristesse, finalement, bien sûr c’est inévitable... Mais, ce n’est pas de ça que l’humanité meurt. L’humanité meurt de ça que, à partir des tristesses inévitables, elle s’en rajoute. C’est une espèce de fabrication de tristesse, d’usine à tristesse fantastique, quoi.... Et il y a des institutions pour engendrer la tristesse... La télé, tout ça, quoi... bon, il y a des appareils... Et c’est forcé qu’il y ait des appareils à tristesse. Il y a des appareils à tristesse parce que tout pouvoir a besoin de la tristesse. Il n’y a pas de pouvoir joyeux.




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